De la philosophie
***
Vivre en harmonie, c’est l’art de contempler le monde avec l’énergie des autres.
***
Celui qui perçoit le rythme de sa vie gouverne l’invisible.
***
Ironiser détruit. Philosopher disperse. Rêver construit.
***
Pour aimer une civilisation, il est préférable de l'étudier. Pour comprendre une oeuvre, il est utile de se connaître.
***
La philosophie permet de mettre des mots sur des chimères. C'est pratique quand elles s'envolent.
***
Il est effarant de constater à quel point ce qui n’existe pas nous soutient.
***
L'Homme est un individualiste qui dépend de son entourage.
***
Ce qui séduit dans la quête obstinée de la Vérité, c’est qu'elle témoigne avec vivacité de la mort de toute chose.
***
Il m'arrive de songer avec nostalgie à cet âge d'or où le Mystère tenait lieu de distraction suprême.
***
Qui n’a jamais éprouvé le plaisir d’être odieux n’est pas digne d’être un homme.
***
Moins on est éclairé, plus on est ébloui.
***
Les passions permettent de décorer la vie, pas de la remplir.
***
Offrir un bouquet de fleurs fanées est un geste de philosophe.
***
Il existe en chacun de nous un idéalisme prêt à aimer la terre entière qui succombe devant une place de parking occupée.
***
L'ivresse philosophique est terrible parce qu'elle se gorge d'espoir frelaté.
***
Se recroqueviller en souplesse est le privilège des sages invertébrés.
***
Ecrire des aphorismes sans succomber à la facilité permet de survivre jusqu'au prochain dégoût.
***
Le moraliste étudie l’Homme dans son milieu pendant que le philosophe travaille en laboratoire. Le premier crève d'ennui, le second meurt d'espoir.
***
Nous avons quitté l’état de nature non pas dans l’idée de fonder une société élaborée mais par crainte de notre duplicité, par misère de nous-même, par lâcheté d’honnête homme.
***
Le philosophe aime les grandes explications. Le poète préfère les petits miracles.
C'est une manie des philosophes de vouloir un jour tout rapporter à l'intelligence, le lendemain aux sensations, le troisième aux sentiments.
***
Le philosophe se nourrit de l’inquiétude de l’Homme. C’est un comptable du destin qui perçoit la TVA du bonheur.
***
L’audacieux qui donne de bons avis rappelle ce philosophe abreuvant de maximes les rescapés du naufrage.
***
La Vérité est si belle à voir qu’on la préfère habillée.
***
Le philosophe se nourrit de l’impermanence du monde. C’est un charognard hautement civilisé.
***
***
Demandez à un être multiple une réponse double : c’est un philosophe. Demandez à un être double une réponse simple : c’est un artiste.
***
S’il nous arrive de fulminer, c’est que le mélange se fait difficilement entre le Yin et le Yang, ces deux carburants de notre nature.
***
On se vaporise de souffrance au réveil. On se parfume d’illusion la journée.
***
On redoute les fissures. On devrait craindre les aspérités.
***
La philosophie n’a pas son pareil pour faire du petit bois avec le feu de la souffrance.
***
Creuser la vérité qui sommeille en nous, c’est admettre notre besoin soporifique de communiquer.
***
Nos obsessions sont à la base de nos finesses et le poison de l’impuissance nourrit le trait d’esprit.
***
La Vérité, mon Dieu… Elle déambule d’une planète à l’autre, espérant qu’une tempête d’ignorance arrachera la sonde qui la relie au monde nébuleux de la philosophie.
***
N'en déplaise à Monsieur Cioran, ma facture d'électricité est en baisse et c'est une nouvelle qui me rend heureux.
***
Le suicide est souvent un acte de générosité envers sa souffrance.
***
A force de travail sur soi et d’expérience de la vie, le philosophe peut perdre en profondeur ce qu’il gagne en bienveillance, au risque de devenir le Sisyphe du bénévolat.
***
L’ivrogne cultivé et le philosophe bon enfant ont en commun d’abuser de la Vérité, avec le plaisir incomparable de ceux qui ont beaucoup pratiqué :
- Sans vergogne, camarade !
- A la tienne, Etienne…
- De la Boétie, tout de même !
***
Le philosophe rappelle ces nounous faisant avaler l’innommable à des petits aux yeux scintillants de naïve confiance. (Cette tache sur le pyjama sera l’occasion d’une antithèse mousseuse.)
***
Narcisse est un psychopathe. Il rêve d’idéal. Mais l’idéal, c’est Narcisse. Pardon au nom de la folie générale. Narcisse est un mythe, un empereur tragique de l’amour. Il porte en lui l’objet de son désir. Un trésor inaccessible. Le poison est subtil. Cette fièvre annonce notre époque. Lorsqu'on le voit rôder près d'une flaque, on aimerait lui mettre des claques. Le noyer dans son image. Lui défoncer la gueule, le remonter à la surface, le transformer en compression de feuilles mortes; et pourquoi pas l’hélitreuiller au-dessus de Fleury-Mérogis, un soir de canicule, comme on jette les esclaves aux murènes ?
Le mythe de Narcisse nous enseigne que l’amour de soi n’est rien sans la détestation d’autrui.
***
Il y a de la grandeur dans ce que nous sommes. Par intermittence. Par fragments. Des scories lumineuses. Des étincelles d’amour. Des escarbilles de Beauté.
***
***
Pour un philosophe, le cœur est une mine d’or, une pépite teintée de sang.
***
Les fréquences intérieures sont brouillées par nature. A nous d’inventer la longueur d’ondes qui corresponde à la messagerie de nos instincts.
***
Je suis un peu déçu par Sénèque, déclara ce parieur qui venait de perdre six mois de salaire dans une course de lévriers.
Quant à Socrate, il n’a même pas pris le départ. Une enquête est ouverte.
En Occident, la Sagesse est une marchandise dont la valeur varie selon le philosophe, ce douanier de l’intelligence.
***
Depuis que j’accueille la malveillance, les étirements de mon âme se font avec davantage de souplesse.
***
D'un point de vue idéal, la mort n’est pas douloureuse ; c’est un concept froid, plutôt étrange. Ce qui fait souffrir dans la mort, c’est l'obligation d'abandonner le quotidien, de déposer les affaires, la nécessité de se mettre à nu pour la rejoindre. On ne lui pardonne pas le spectacle. Elle va trop loin. Nous sommes faits pour le calme, la routine, les appétits médiocres. Mais l'essence de la mort, c'est la brutalité; quand elle surgit, nous sommes démunis. C'est une porte violemment ouverte, que le moins hébété finit par refermer doucement. (Parfois, à l'heure d'une calamité elle devient fréquentable, le temps de la combattre sans la comprendre.) Pour approcher l'essence de la mort, il faut se tourner vers la transcendance. La mort vue du ciel. Avec de belles photos. Et une préface de l'Eternel... Non. En vérité, ni la religion, ni la philosophie, ni l'art, n'incarnent vraiment la mort. La première, trop consolatoire, s'enferme dans le rituel; la deuxième se perd dans les idées. Quant à l'art, il cultive la Beauté. Finalement, le nazisme est le concept humain (?) le plus proche de la mort.
***
***
Je suis poussé à agir. Quelque chose me force à me lever, à m'asseoir, à sortir. Parfois, je voudrais saisir cette main qui appuie dans mon dos afin de la serrer, de la faire plier un instant, de lui faire mal, pourquoi pas ?... Puis je relâche mon effort imaginaire. L'instant de révolte passé, me voici de nouveau libre. Libre de me lever, de m'asseoir, de sortir.
***
Tel un joueur de bonneteau, les idées du philosophe virevoltent devant un public dont l'attention soutenue est moins le résultat de sa passion pour Kant que la crainte de se faire voler une partie de son cerveau.
***
L'existence est semblable à un rouleau de papier peint : à peine en aperçoit-on l’ensemble qu’une extrémité nous échappe.
***
Philosopher, c’est avant tout se prémunir des faux calculs, se garder des angoisses inutiles, combattre les intentions malveillantes avec une sincère détermination, sans omettre la discussion préalable. En second lieu, philosopher consiste à faire preuve de curiosité, à confronter le point de vue scientifique au tempérament humain, dans un équilibre parfois surprenant entre société et individu, en vertu d’un dialogue associant la nuit des temps à notre civilisation, comme si la pulsion originelle s’invitait à la table des négociations amoureuses pour lui soulever la jupe.
***
/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fcedistic%2Fcamera.png)