"N'oublie pas de faire chauffer les assiettes."

"-Valérie, n'oublie pas de faire chauffer les assiettes…". Cette apostrophe, mélange de bienveillance et d'égoïste anxiété, je me souviens l'avoir prodiguée un certain nombre de fois, alors même que j'étais invité, au mépris de la plus élémentaire politesse…

Essayez de formuler cette goujaterie juste avant de passer à table: il semble que l'on verse un cocktail dans le regard de son hôte. Vous y trouverez 1/3 d'étonnement, 1/3 d'agacement, 1/6 d'amusement. – Ajoutez une pincée de rébellion, laissez le temps au cerveau d'agiter et vous obtiendrez la réplique suivante: "-Mon entrée est froide, cher ami."

Désolé, Valérie… Excuse-moi. Qu'importe, je tenterai de nouveau ma chance au moment du plat principal… Oui, je préfère passer pour un rustre, un maroufle, un pourceau d'Epicure, plutôt que voir arriver une escalope de foie gras poêlé dans une assiette froide. – On objectera qu'il y a plus grave dans l'existence. C'est vrai. Néanmoins, l'assiette chaude est l'indice d'une brasserie convenable. Donc, pourquoi pas chez soi ! Et puis, quoi de plus simple que faire tiédir quatre assiettes?

Je me souviens du pot-au-feu que l'on servait chez ma grand-mère, en plein hiver, à l'époque où les maisons étaient souvent moins chauffées qu'aujourd'hui; j'aperçois, égaré, banal dans l'ordonnancement du mois de janvier, le jardin froid et triste de ces jours embrumés, et ces belles assiettes blanches, belles par la simplicité de leur blancheur, juste un peu plus épaisses et un peu plus grandes peut-être que d'ordinaire; je revois, au moment du service, vides encore, (quand la plupart des convives ne pouvaient résister au bonheur simple de goûter la tiédeur de la faïence au contact de leur paume) ces assiettes imposées par des mains âgées, comme bénies, baguées, les taches de vieillesse de mes grands-parents, l'automne des êtres humains, et je songe aujourd'hui à ces heures disparues, témoignage d'un cérémonial mystérieux, le pot-au-feu du dimanche…

Désormais, dans les dîners, on applique le service à l'assiette, ce qui est bien commode, mais possède l'inconvénient de ne plus apprécier le dessin de la vaisselle. C'est pourquoi l'idéal consiste à retirer les assiettes pour les mettre à chauffer après que les invités ont apprécié la décoration de la table. – Au fait, je devine les matheux qui trépignent… Qu'ai-je fait du 1/6 restant? Un gros baiser à Valérie, bien sûr!

Parti pris

Pour la recette ci-dessous, n'hésitez pas à servir dans une assiette blanche, au diamètre supérieur à l'ordinaire et bien chaude...

Côté vins, Xavier Lafory, des caves Beauvoisine ne recommande pas forcément un bourgogne. Considérant le bouquet garni de la recette, et les parfums de laurier qui enrobent la sauce, Xavier opte pour un château de Cazeneuve, coteaux du Languedoc, Pic Saint-loup 2006, "Les calcaires", à 12.8€. Il propose également un côtes du Ventoux, "Martinelle" à 8.9€.

Caves Beauvoisine, Xavier Lafory, 104 rue Beauvoisine, Rouen. T: 02.35.08.55.87.

BŒUF BOURGUIGNON A MA FACON

Pour 6:  1,5 kg de macreuse

             200gr de lard fumé

             300 gr de girolles

             200 gr de petits oignons

             1 kg de carottes

             4 gousses d'ail

             2 cuil.à soupe de farine

             80 gr de beurre

             75 cl de Bourgogne rouge

             50 cl de bouillon de bœuf

             bouquet garni

             sel, poivre

Chauffez le beurre dans une cocotte. Faites revenir le boeuf coupé en gros cubes et faites bien colorer. Saupoudrez de farine. Faites légèrement colorer puis mouiller avec le vin et le bouillon. Ajoutez les gousses d'ail pelées et le bouquet garni. Cuire 2 heures à couvert, à frémissement.

Pendant ce temps, faites sauter à la poêle le lard détaillé en lardons, les petits oignons et les girolles.

Pelez les carottes, coupez-les en rondelles, faites-les cuire à l'eau bouillante salée.

Au moment de servir, ajoutez dans la cocotte lardons, oignons, girolles et carottes.

Ce plat est meilleur encore réchauffé. Je l'accompagne de pommes vapeur persillées.