Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Guillaume Poutrain Expert en aphorismes et fragments narratifs ! (Des femmes, de la philosophie, de la beauté, de la vie en société...)

La Distraction d'Orphée (extrait)

Guillaume Poutrain

 

 

                                                           125

 

 

Nos changements d’humeurs traduisent les circonvolutions de l’âme davantage que les méandres de l’existence. En vie, potentiellement infinis, cœurs assoupis sur la rive du quotidien, nous regardons les jours passer, scrutant la grisaille de l’eau profonde, dessinant à tout hasard la surface qui miroite au fond du ciel bleu. En un mot, nous crevons d’ennui. La mythologie incarne cet état de fait. Depuis des millénaires les poètes grecs ont malicieusement enjolivé ces torpeurs de l’inconscient, enveloppant jusqu’au sarcasme les voix qui montent vers l’Eternel. Exode de l’infinie sagesse. Empreinte vocale de l’Homme seul. On l’aperçoit, tendu vers les étoiles, à cheval sur des tessons d’exactitude, la colonne vertébrale humide de rosée féminine. Génération sacrifiée. La plus belle. Puis vint le pré carré de nos jeunes philosophes. Nous admirions leur goût pour le baroque imprimé sur le livre des fées. Noblesse délétère mais féconde de ceux qui veulent arracher le joujou de la divinité. Solitude panachée d’orgueil. Politique de la chaise vide. Au loin l’œil mousseux des dieux stationnait sur le rivage, personnages rogues et ivres comme le monde qui s’apprête à mendier son repos, guettant l’ultime séduction. Elisabeth Taylor en prêtresse aux seins d’ivoire offrait le sens giratoire. La pleine lune tendait son corset gigantesque. Mes amis et moi adhérions à la secte. Babylone de caresses. La queue du chat tremblait au-dessus de la boîte de thon. Le monothéisme redoute ces tentations. Epoque fragile, prête à boire le sang de nos amères faiblesses. Elle eut gain de cause, l’Eglise. Restait à cueillir sur la terre de Palestine l’écorce du soleil noir comme un pourpoint d’esclave. Aube biblique. L’heure vint, fraîche et odorante. Ta mère aussi. Poissons gravés, rinceaux de vierges métaphores, filles aux attaches graciles, longs cous blanchis par le respect, barbares oints pour dépeindre le mal, soliloques de contre-épées, saules en broussailles enlaçant les rives de l’immortalité… L’Homme tâtonnait dans ces futaies, le pantalon sur les chevilles, souscrivant à la justice du plus fort, la sienne, comment faire autrement, tu parles ? Rive gauche, déjà, on apercevait tant de solidarité fumante que la tourbe des nuages convolait à peine avec les grandes orgues du couchant. Que la journée passe vite. Manger, trimer, faire réviser les gosses, torcher nos maisons à la crinière de paille. Crémant de long chemin. Bulles papales. Nous galopions depuis toujours jusqu’à presque maintenant. Siècle après siècle, il fallait substituer la fantaisie olympienne à la ferveur du commandement. Les gueux n’en demandaient pas autant : «Donnons tort à l’existence, il en restera toujours quelque chose.» Mauvais joueurs. Ce qui devait arriver arriva : la religion cessa d’être une philosophie. – Faites entrer l’accusé. Voici le citoyen Jésus, égaré des pénéplaines de la Samaritaine. Il a sa part de responsabilité. Il s’en vante, d’ailleurs. C’est ça le hic, tant il a privilégié l’amour du prochain au détriment du destin. Résultat : la religion a divorcé d’avec le poème, les eaux du langage ont retourné leur lit de sagesse, les couleurs chatoyantes du hasard se sont empourprées d’un horizon de bonheur. Du pur Hollywood. La cata. Tant pis pour nous. Le temps passait, les siècles filaient comme des monstres, courbés, lunatiques. Les rois suivaient à bicyclette. La cour marchandait, les écureuils faisaient l’aumône. Quant à l’homme, ce coquin devenu inaccessible, il guettait Freud au coin du bois comme on attend le bus dans le 9.3. Vous êtes ici. Désormais il suffit d’appuyer sur un bouton. Nous sommes des thaumaturges du nucléaire. Le paradis tourne en orbite, la religion craint d’autres outrances, d’étranges supplices, l’humeur du monde se fige dans d’improbables solstices, la douleur s’exalte jusqu’à devenir calvaire de brume. Quant à la fistule anale de Louis XIV, elle  a produit un Te deum.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires